Kingston, Jamaïque

1912

Bamidbar (במדבר – Dans le désert)
Nombres 1:1–4:20 et Osée 2:1–22

Dans le désert du Sinaï, Dieu ordonne à Moché de recenser les enfants d’Israël et d’établir une structure organisée pour le peuple, définissant la disposition des camps, l’ordre de marche et la répartition des tâches. Le prophète Osée aborde le destin d’Israël sous une perspective symbolique : il compare le peuple au sable de la mer, illustrant ainsi sa croissance et sa pérennité.

Osée 2:1
וְהָיָה, מִסְפַּר בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל, כְּחוֹל הַיָּם, אֲשֶׁר לֹא-יִמַּד, וְלֹא יִסָּפֵר
Cependant, le nombre des enfants d’Israël sera comme le sable de la mer, qu’on ne peut ni mesurer ni compter.

Osée utilise cette image puissante pour rappeler l’alliance originelle avec les patriarches [1] et souligner la continuité de la promesse divine à travers les générations.

La présence juive en Jamaïque remonte au milieu du XVIIe siècle, lorsque des Juifs séfarades, fuyant l’Inquisition espagnole [2], trouvèrent refuge sur l’île alors sous domination britannique. La synagogue Kahal Kadosh Sha’are Shalom de Kingston témoigne de l’histoire juive locale. Construite en 1885, elle fut détruite en 1907 par un tremblement de terre ravageant une grande partie de la ville. À la suite de cette catastrophe, les six frères Henriques s’unirent pour participer à sa reconstruction ainsi qu’à celle de Kingston. Terminée en 1912 dans un style colonial britannique, la synagogue se distingue par son orgue à tuyaux de 52 jeux. Mais ce qui la rend particulièrement remarquable, c’est son sol recouvert de sable [3] blanc—une tradition héritée des Juifs de la péninsule Ibérique, utilisée pour étouffer le bruit de leurs prières.

Adjacent à la synagogue, le Musée de l’histoire juive jamaïcaine est réputé pour sa riche collection judaïque, l’une des plus remarquables des Caraïbes.

Mais l’histoire juive de Kingston ne se limite pas aux objets exposés : elle se lit aussi dans les pierres tombales du cimetière juif de Hunt’s Bay, certaines ornées du Jolly Roger [4] appartenant à des Juifs séfarades [5] devenus flibustiers.

[1] Promesse biblique : Je te comblerai de mes faveurs ; je multiplierai ta race comme les étoiles du ciel et comme le sable du rivage de la mer, et ta postérité conquerra les portes de ses ennemis. (Genèse 22:17)
[2] L’Inquisition espagnole fut instituée en 1478 et entraîna la persécution des Juifs, notamment avec les décrets d’expulsion d’Espagne en 1492 et du Portugal en 1497. Certains Juifs se réfugièrent dans les colonies dès le XVIe siècle, mais la Jamaïque étant sous domination espagnole jusqu’en 1655, la présence juive y était limitée avant la conquête anglaise.
[3] Sable : outre la discrétion et l’alliance originelle, une autre explication serait qu’il symbolise le désert du Sinaï,
[4] Jolly Roger : Le célèbre pavillon pirate arborant un crâne et des os croisés – un Memento Mori (Souviens-toi que tu vas mourir) – utilisé par certains corsaires et flibustiers juifs.
[5] Figures juives liées à la flibuste en Jamaïque et dans les Caraïbes :
– Moses Cohen Henriques
(1595 – après 1681) – Juif séfarade ayant fui l’Inquisition espagnole, il s’illustre en 1628 en aidant l’amiral néerlandais Piet Pieterszoon Hein (15771629) à capturer une flotte espagnole chargée d’or et d’argent, un butin estimé à un milliard de dollars aujourd’hui. Après la reconquête portugaise du Brésil en 1654, il se réfugie en Jamaïque, où il contribue à l’établissement de la communauté juive et aurait conseillé le célèbre corsaire Le Capitaine Morgan (Sir Harri Morgan, 1635-1688) à Port Royal.
David Abrabanel (XVIIe siècle) – Connu sous le nom de « Captain Davis », ce flibustier juif commande le navire « Jerusalem » et mène des raids indépendants (sans mandat officiel
) contre les Espagnols en représailles aux persécutions subies par sa famille.
Yaacov Kuriel (XVIIe siècle) – Ancien capitaine espagnol, capturé par l’Inquisition il est  libéré par ses propres marins, pour la plupart marranes. Il prend alors la mer avec trois navires et mene des attaques contre les Espagnols aux Caraïbes.

Sdé Eliahou, Israël

1938

Behar-Be’houqotaï (בְּהַר – « sur la montagne », בְּחֻקֹּתַי – « dans Mes lois »)
Lévitique 25:1 – 27:34 et Jérémie 16:19-17:14

La paracha Behar-Be’houqotaï enseigne les lois du Yovel [1] et de la Chemita [2], rappelant que la terre appartient à Dieu et doit être cultivée avec respect. Elle évoque les bénédictions liées à l’obéissance, ainsi que les malédictions en cas de transgression, affirmant la fidélité constante à Son alliance. La Haftara de Jérémie souligne l’importance de faire confiance à Dieu plutôt qu’en la richesse ou la puissance. L’homme, gardien de la terre, doit l’utiliser avec sagesse, foi et équité.

Jérémie 17:7
בָּרוּךְ הַגֶּבֶר, אֲשֶׁר יִבְטַח בַּה’; וְהָיָה ה’, מִבְטַחוֹ.
Béni soit l’homme qui se confie en Dieu, et dont Dieu est l’espoir.

Cette confiance se reflète dans la manière dont la terre est cultivée au kibboutz Sdé Eliyahou. Ce kibboutz pratique l’agriculture biologique et utilise des insectes [3] pour lutter contre les ravageurs et assurer la pollinisation dans les serres et les champs ouverts.
Dans ce kibboutz religieux, une synagogue, un beit midrash, une école religieuse régionale, un oulpan et un programme de bénévolat offrent un cadre de vie et d’apprentissage fondé sur les traditions juives. Les étudiants alternent trois jours de travail et trois jours d’études, bénéficiant de dortoirs, salles de pause et espaces de vie dédiés.

Sdé Eliyahou, situé à 5 kilomètres au sud de Beth Shéan, dans la vallée des Sources à 200 mètres sous le niveau de la mer, a été fondé en mai 1938 par un groupe de jeunes juifs allemands, selon le modèle ‘Homa Ou-Migdal (חומה ומגדל – palissade et tour). Cette méthode, utilisée sous le mandat britannique, permettait d’établir rapidement des implantations agricoles sécurisées en érigeant une tour de guet et une palissade en bois en une seule nuit. Le nom du kibboutz rend hommage au rabbin Eliyahou Guttmacher [4], une figure du XIXe siècle qui soutenait le sionisme religieux.

[1] Yovel (Jubilé) : prévu en 5802 (2041-2042), année jubilaire célébrée tous les 50 ans avec libération des terres et des esclaves.
[2] Chemitta (année sabbatique) : prévue en 5789 (2028-2029) et 5796 (2035-2036), observée tous les 7 ans avec repos de la terre et annulation des dettes.
[3] En 1983, le kibboutz a créé la société Sde Eliyahu Biological Control Insectaries, aujourd’hui BioBee, qui diffuse ses produits à l’international. Cette entreprise développe des techniques de lutte biologique contre les ravageurs, utilise la technique des insectes stériles et fournit des bourdons pour la pollinisation.
[4] Originaire de Pologne, Eliyahou Guttmacher (1795-1874) était un rabbin et kabbaliste, précurseur du sionisme religieux. Il encourageait l’installation agricole juive en Terre d’Israël comme voie vers la rédemption.

Rav Eliyahou Guttmacher ——————————  ‘Homa Ou-Migdal (חומה ומגדל – palissade et tour)

Mikvé du Ari HaKadoch, Safed

XVIe siécle

Emor (אמור – dis)
 Lévitique 21:1-24:23 et Ézéchiel 44:15-31

La paracha Emor et sa haftarah mettent en lumière l’importance de la pureté dans le service divin. Alors que la Torah établit les règles de purification applicables dans le Michkan (le Tabernacle), le prophète Ézéchiel en annonce la continuité et l’accomplissement dans le Temple futur.

Ézéchiel 44:23
וְאֶת-עַמִּי יוֹרוּ, בֵּין קֹדֶשׁ לְחֹל; וּבֵין-טָמֵא לְטָהוֹר, יוֹדִעֻם.
Ils enseigneront à mon peuple à distinguer ce qui est saint de ce qui est profane, ils lui feront connaître la différence entre ce qui est impur et ce qui est pur.

Mikvé du Ari HaKadoch
Ce verset révèle le rôle des prêtres comme source de transmission de la pureté et de la sainteté au peuple — une dimension spirituelle qui se concrétise dans des lieux de purification comme le Mikvé du Ari HaKadoch à Safed. Situé près de l’entrée supérieure du cimetière de la ville, ce bassin revêt une profonde importance spirituelle et mystique. Selon la tradition, le Ari HaKadoch[1] s’y immergeait chaque jour. Alimenté directement par une nappe phréatique, le mikvé offre une eau pure et fraîche (entre 10°C et 15°C). Aujourd’hui, ce lieu accueille des visiteurs du monde entier, en quête de purification et d’élévation spirituelle. Plus bas sur la colline reposent le Ari HaKadoch et son fils, Rabbi Moché Louria.

Les Kabbalistes de Safed
À Safed, avant l’arrivée du Ari HaKadoch, le Ramak[2] dirigeait une école kabbalistique. Il structura les enseignements mystiques à travers son œuvre Pardes Rimonim[3]. À son décès, le Ari HaKadoch reprit son enseignement en introduisant des concepts majeurs[4]. Bien qu’il ait peu écrit, ses enseignements furent recueillis et diffusés par Rabbi Haïm Vital[5], son principal disciple.

Notes
[1] Rabbi Yitzhak Louria Achkenazi (1534–1572) était appelé « Achkenazi » en raison de l’origine achkénaze de son père. Il a grandi au Caire dans un environnement séfarade et s’installa à Safed, qui, au XVIe siècle, était un centre majeur de la mystique juive séfarade. Il priait et vivait selon le rite séfarade, et la plupart de ses disciples étaient également séfarades.
L’acronyme Ari (האר »י) provient de האלוקי רב יצחק (Ha-Eloqi Rav Yitzhak), signifiant « Le divin rabbin Yitzhak ». Cet acronyme est aussi interprété comme Achkenazi Rabbi Yitzhak ou Adoneinu Rabbeinou Yitzhak (« Notre maître, notre rabbin Yitzhak »). Il est également connu sous les noms Ari zal (Ari, sa mémoire est une bénédiction) et Ari HaKadoch (Ari, le Saint).
[2] Rabbi Moché ben Yaakov Cordovero (1522–1570) fut une figure majeure de la Kabbale. Il structura les enseignements kabbalistiques et influença profondément le développement de la mystique juive à Safed. Il est également connu sous l’acronyme רמ״ק (Ramak).
[3] Pardes Rimonim (פרדס רימונים), qui signifie « Le Verger des Grenades », est une œuvre majeure de la Kabbale. Son titre fait référence à deux éléments symboliques :
Pardès (פרדס) qui est l’acronyme des quatre niveaux d’interprétation de la Torah : Pchat (פשט) pour le sens littéral, Remez (רמז) pour l’allusion, Drach (דרש) pour l’interprétation homilétique et Sod (סוד) pour le sens mystique.
Rimonim (רימונים), qui signifie grenades, est un symbole de sagesse, et le nombre de grains de ce fruit fait référence aux 613 mitsvot (commandements) de la Torah.
[4] Concepts kabbalistiques introduits par le Ari HaKadoch :.
Tsimtsoum : Contraction ou retrait de la présence divine afin de laisser un espace pour la création.
Chevirat Ha-Kelim : « Brisure des vases », événement cosmique à l’origine du désordre primordial.
Tikkoun Olam : « Réparation du monde » par des actes de bonté et de sainteté.
[5] Rabbi Haïm Vital (1542–1620), principal disciple du Ari, fixa ses enseignements dans des textes fondamentaux, dont Etz Ha’Hayim (L’Arbre de Vie) et Cha’ar HaGuilgoulim (La Porte des Réincarnations). Son fils, Rabbi Samuel Vital (1598–1677), assura la transmission de cet enseignement à travers le monde juif oriental.

Versailles, Yvelines, France

1886

A’haré Mot ([אחרי [מות – après [la mort]) – Qédochim (קדושים – saints)
Lévitique 16:1–20:27 et Amos 9:7–15

Ces versets rassemblent des lois relatives à la sainteté, à la pureté rituelle, aux relations interdites, à la justice et à la charité.

Lévitique 19:18
וְאָהַבְתָּ לְרֵעֲךָ כָּמוֹךָ
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Ce verset[1] est gravé au-dessus de la grande rosace ornée d’une étoile de David sur la façade principale de la synagogue de Versailles. Ce bâtiment, construit entre 1884 et 1886 dans un style néo-byzantin, se distingue par sa composition symétrique, ses arcs en plein cintre, ses inscriptions en hébreu et son faitage en pierre sculpté représentant les rouleaux de la Torah.

L’édifice a été conçu par l’architecte Alfred-Philibert Aldrophe[2], une figure majeure de l’architecture religieuse juive en France à la fin du XIXᵉ siècle. Sa réalisation fut rendue possible grâce au soutien financier de la philanthrope Cécile Furtado-Heine[3], à une époque marquée par l’arrivée massive de familles juives alsaciennes et lorraines après la guerre de 1870[4].

Classée monument historique depuis 2010, la synagogue reste aujourd’hui un lieu de culte actif, desservant une communauté majoritairement séfarade. Avant sa construction, les Juifs de Versailles, présents depuis le XVIIIᵉ siècle, pratiquaient leur culte dans de modestes oratoires, notamment rue de Saint-Cloud.

[1] L’inscription au dessus de la rosace combine deux versets : Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu (Deutéronome 6:5) et Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Lévitique 19:18). Au-dessus du portail central, figure également un autre verset : Béni sois-tu à ton arrivée et béni sois-tu à ton départ (Deutéronome 28:6).
[2] Alfred-Philibert Aldrophe (1834–1895), architecte français, est notamment l’auteur de la synagogue de la rue de la Victoire à Paris, une œuvre emblématique du judaïsme français.
[3] Cécile Charlotte Furtado-Heine (1821–1896), grande mécène juive, a soutenu de nombreuses œuvres sociales et religieuses, en particulier la construction d’hôpitaux et de synagogues.
[4] Après la défaite de Napoléon III à Sedan, l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand en 1871 entraîna l’exil de nombreuses familles juives francophones. Certaines trouvèrent refuge en France et en Algérie, tandis que d’autres s’installèrent en Suisse ou aux États-Unis, notamment en Louisiane, en Pennsylvanie et à New York. Quelques familles émigrèrent également vers l’Argentine ou le Brésil, tandis que d’autres optèrent pour l’Empire ottoman.