Tsitsit Tekhelet (Franges d’Azur)

Chéla’h Lekha (שלח לך – envoie -²pour toi)
Nombres 13:1–15:41 et Josué 2:1–24

Moché envoie douze explorateurs en Canaan, à leur retour, dix d’entre eux présentent un rapport alarmant. Le peuple, effrayé, refusant de prendre possession de la terre, est condamné à quarante ans d’errance dans le désert. Quarante ans plus tard, Josué envoie à son tour deux explorateurs à Jéricho, la clé d’entrée en Eretz Israël (Talmud, Sotah 34b). Leur mission réussie permet la conquête de Canaan. Dans les deux textes, un élément revient : le cordon [1]. Le cordon de fil bleu des tsitsit et le cordon de fil rouge accroché à la fenêtre par Rahav.

Nombres 15:38
דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם, וְעָשׂוּ לָהֶם צִיצִת עַל-כַּנְפֵי בִגְדֵיהֶם, לְדֹרֹתָם; וְנָתְנוּ עַל-צִיצִת הַכָּנָף, פְּתִיל תְּכֵלֶת. 
Parle aux enfants d’Israël, et dis-leur de se faire des franges aux coins de leurs vêtements, dans toutes leurs générations, et d’ajouter à la frange de chaque coin un cordon d’azur.

La recette de fabrication du tekhelet (תְּכֵלֶת – bleu indigo) s’est perdue au fil des siècles.
Au XIXᵉ siècle, des pêcheurs méditerranéens rapportaient que leurs vêtements se teintaient de bleu après avoir manipulé certains coquillages. En 1882, intrigué par ces témoignages, le Rabbi Gershon ‘Hanokh Henikh Leiner [2] mit à profit sa double compétence en Torah et en sciences naturelles pour tenter d’identifier l’animal utilisé pour teindre les tsitsit en azur. Ses recherches l’amenèrent – à tort – à identifier le calmar commun (Sepia officinalis) comme étant le ‘ḥilazon (חילזון – escargot biblique).
En 1968, le chimiste israélien Otto Elsner (1936–2022) démontra expérimentalement que l’Hexaplex trunculus produit une teinture bleue par réaction photochimique. En 1980, en Israël, l’équipe Ptil Tekhelet, dirigée par le Rav Eliézer Yossef Tavger [3], parvint à reproduire ce processus. La méthode est validée, et une ferme d’élevage d’Hexaplex trunculus [4] est installée à Haïfa.
Aujourd’hui, plusieurs autorités halakhiques [5] reconnaissent la validité du tekhelet moderne. Des figures comme le Rav Hershel Schachter, le Rav Zalman Nechemia Goldberg et le Rav Shlomo Machpud estiment que les preuves accumulées [6] sont suffisamment solides pour permettre la restauration de cette mitsva oubliée.

[1] Josué 2:18 : « cordon de fil écarlate » (תִּקְוַת חוּט הַשָּׁנִי) ; Josué 2:21 : « cordon écarlate » (תִּקְוַת הַשָּׁנִי).
Le mot תִּקְוָה, de la racine קוה (espérer, tendre une corde), exprime une attente active et tendue. Dans la tradition kabbalistique, ce fil est associé à la protection contre le mauvais œil. Deux mots, deux registres. Le texte aurait pu se contenter d’un mot générique comme חֶבֶל (hevel – simple corde). Mais il choisit délibérément פְּתִיל (ptil), un fil torsadé, codifié, un rappel sacré de l’alliance. Et de l’autre côté, תִּקְוָה (tikva), porteur de toute la charge de l’attente, du salut espéré.
[2] Rebbe Gershon ‘Hanokh Henikh Leiner (1839–1891), maître hassidique de Radzin, pionnier de la redécouverte du tekhelet au XIXᵉ siècle.
[3] Rav Eliézer Yossef Tavger (1948–2022), physicien et enseignant de Torah. En 1988, il réalisa la première teinture halakhique de tekhelet depuis plus de 1300 ans.
[4] Hexaplex trunculus (ou Murex trunculus) : gastéropode marin identifié comme le ḥilazon biblique. Le Talmud (Menachot 42b–44a) donne plusieurs indices : « son corps ressemble à la mer » – l’hexaplex trunculus vit en Méditerranée, et sa coquille irisée évoque les reflets marins, « il ressemble à un poisson » il a une forme spiralée et pisciforme, « son sang sert à la teinture » sa sécrétion glandulaire vire au bleu sous l’effet du soleil (Il faut environ 30 coquillages pour teindre un jeu complet de tsitsit en tekhelet).
[5] Autorités halakhiques :
– Le Rav Tsvi Hershel Schechter (1941), est l’un des principaux décisionnaires de l’orthodoxie aux États-Unis. Il dirige la Yeshiva Rabénou Its’hak El’hanan à New York. Il a publié de nombreux ouvrages, dont Guinat Egoz (2007), dans lequel il traite des lois relatives du tékhelet.
– Le Rav Zalman Nechemia Goldberg (1931–2020), ancien Av Beit Din à Jérusalem, directeur de l’Encyclopédie Talmudique.
– Le Rav Shlomo Machpud (1946), décisionnaire séfarade d’origine yéménite basé à Bnei Brak, dirige l’agence de kashrout Yoreh Deah, reconnue pour son exigence halakhique. Il encourage le retour du tekhelet dans les tsitsit, une mitsva authentique à rétablir.
[6] Preuves accumulées : Des fragments de textiles teints en tekhelet et en argaman (cramoisi teinture extraite du Bolinus brandaris) ont été découverts à Massada et dans le désert de Judée. Des analyses chimiques et spectroscopiques très poussées ont été réalisées sur ces fragments de textiles et sur les colorants qui ont confirmé l’utilisation du hexaplex trunculus. Des fouilles d’ateliers phéniciens ont révélé des milliers de coquilles brisées. Pline l’Ancien (Naturalis Historia, Livre IX) mentionne huit genres de coquillages utilisés pour produire des teintures bleues ou pourpres, et décrit précisément le procédé de fabrication.

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